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L'instant où tout bascule

          Mes élèves ont toujours écouté le mythe d'Oedipe avec beaucoup de sérieux, à la fois frappés par la puissance de l'histoire, et conscients de sa valeur symbolique. La langue des tragédies de Sénèque est difficile, mais on trouve dans chaque pièce plusieurs moments où comme ici s'enchaînent des répliques serrées, qui se rapprochent du langage parlé. Ce passage est donc à la fois assez facile, et d'un grand intérêt.

Pistes d'étude :

  1. Documentation Essayer d'expliquer la malédiction de Laïos ; rechercher les sources chez Homère et Sophocle. Etudier la différence Homère - Sophocle - Sénèque. Chez Sénèque, Une force violente et inéluctable pousse Oedipe à rechercher à la fois la vérité, et sa propre perte. A la fin des Phéniciennes il souhaite qu'Etéocle et Polynice s'entre-tuent ;
  2. Niveaux de langue : Quel est le but de l'emploi du langage familier dans les répliques d'Oedipe ? Par exemple le présent traditur, l'ordre Huc aliquis ignem ;
  3. Le rythme  Etudier la longueur des répliques, et leur répartition par vers : raccourcissement jusqu'à la chute coniuge est genitus tua. Or, les quatre derniers vers de l'extrait sont le début d'un long monologue d'Oedipe...
  4. Au moment où tout bascule : Reprise du mot genitus ; place de tua ; Dès qu'il a pris conscience de la vérité, Oedipe se détache de ses interlocuteurs pour se tourner vers les divinités infernales.
  5. Oedipe et l'enfant qui sont deux au début, se rapprochent progressivement pour n'être finalement qu'un. Montrer cette progression dans les paroles d'Oedipe. L'aveu de Phorbas est pourtant formulé à la troisième personne. Faut-il lire ensuite quoue generatus [sum] patre ? , ou bien quoue generatus [est] patre ?  ?
  6. Justification de la cruauté d'Oedipe : étudier la réplique Si ferus uideor tibi / et impotens, parata uindicta in manu est .
  7. La question du jeu des comédiens antiques A la lecture d'un tel passage, on ne peut se figurer une diction trop majestueuse et convenue : Sénèque passe très rapidement du dialogue à l'a parte et à l'ordre lancé à la cantonade. Pour être compris, le comédien antique devait pouvoir changer rapidement de registre. L'intensité dramatique de la scène en est renforcée. On pourra, sans nécessairement la jouer, imaginer le ton des deux vieillards, les différents registres de la voix d'Oedipe.
  8. Oedipe chez les français : Garnier et Corneille, Voltaire, Gide et Cocteau.
Essai de traduction
LE VIEUX CORINTHIEN Et moi, me reconnais-tu ?
PHORBAS Ma mémoire doute, incertaine.
OEDIPE Est-ce toi qui a livré un enfant à cet homme ?
Parle. Tu doutes ? pourquoi la couleur change-t-elle tes joues ?
Pourquoi chercher tes mots ? la vérité déteste attendre.
PH. Tu remues des souvenirs recouverts par tant de temps écoulé !
OE. Avoue, de peur que la douleur ne te contraigne à la vérité.
PH. Je lui ai donné un petit enfant, présent inutile :
il n'a pas pu jouir de la lumière, du ciel.
V. COR. Que s'éloigne ce présage ; il vit, et je prie pour qu'il vive.
OE. Comment peux-tu nier que cet enfant ait survécu ? Tu lui avais donné.
PH. Un fer acéré qui lui traversait les deux pieds,
lui liait les membres, un œdème né de sa blessure
brûlait son corps d'enfant d'une horrible infection.
OE. (à part)Pourquoi en demandes-tu davantage ? Les destins s'approchent déjà.
(à Phorbas)Apprends-moi qui était cet enfant. PH. La loyauté me l'interdit.
Qu'on apporte du feu ! La flamme décrochera vite cette loyauté.
La vérité serait cherchée par de si sanglantes voies ?
Pardonne-moi, je t'en prie. OE. Si je te parais sauvage
et brutal, la vengeance est toute prête dans ta main :
dis la vérité : qui est-il ? engendré de quel père ?
enfanté de quelle mère ? PH. Il est né de ta femme.
OE. Terre, ouvre-toi, toi aussi, ténèbre puissante,
fais revenir en arrière tous les rejetons de ma famille et de ma lignée
et emporte-les, maître des ombres, au fond du Tartare. Citoyens, amassez les pierres sur ma tête criminelle...
Sen. Oed. 847